Le Secrétariat de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) poursuit son vaste projet de réforme en profondeur de la fiscalité internationale, en s’appuyant sur le Plan d’action sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (ou « Plan d’action BEPS » pour « Base Erosion and Profit Shifting ») ayant abouti à l’Instrument multilatéral, qui a apporté des changements fondamentaux aux conventions fiscales.

À l’automne 2019, le Secrétariat de l’OCDE a publié un document de travail sur la fiscalité des entreprises numériques (« Pilier 1 »). Ce document proposait de nouvelles règles fiscales pour s’assurer que les entreprises œuvrant dans l’économie numérique soient imposables dans les juridictions où elles exercent leurs activités, et ce, même si elles n’ont pas de présence imposable en vertu des règles traditionnelles (nexus ou établissement stable).

En novembre 2019, le Secrétariat de l’OCDE a publié son document Pilier 2 – Proposition globale de lutte contre l’érosion de la base d’imposition (GloBE), dans lequel il exposait ses propositions visant à réformer davantage la fiscalité internationale. Comme nous en traitons ci-dessous, ces propositions ont une grande portée et l’OCDE a reçu plus de 3 000 pages de commentaires de la part de divers intervenants.

Le Pilier 2 a pour objectif de mettre en place un système mondial d’impôt minimum sur le revenu et de faire en sorte que les entreprises multinationales paient un montant minimum d’impôt. Pour le moment, le Secrétariat n’a pas précisé le seuil minimal de revenus qu’une entité devra atteindre pour être sujette à cet impôt. Il pourrait donc s’appliquer aux grandes entreprises multinationales (par exemple, celles qui sont soumises à la déclaration pays par pays en raison d’un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros) et aux plus petites entités. De plus, le Pilier 2 ne précise pas quel devrait être le taux d’imposition minimum.

Composantes du Pilier 2 – GloBE

Les quatre composantes de la proposition GloBE sont les suivantes :

  • une règle d’inclusion du revenu, visant à imposer le revenu d’une succursale étrangère ou d’une société étrangère contrôlée lorsque ce revenu a été imposé à un taux effectif inférieur au taux minimum;
  •  une règle relative aux paiements insuffisamment imposés, visant à refuser toute déduction ou à appliquer une retenue d’impôt à la source aux paiements à une partie liée, si ces paiements ont été soumis à un taux effectif d’imposition inférieur au taux minimum;
  • une règle de substitution, visant à appuyer la règle d’inclusion du revenu, qui introduirait une disposition dans les conventions fiscales permettant de basculer d’une exemption vers un crédit d’impôt, si le revenu imposé par un établissement stable est soumis à un taux effectif d’imposition inférieur au taux minimum. Cette règle pourrait également s’appliquer aux biens immeubles qui ne font pas partie d’un établissement stable;
  • une règle d’assujettissement à l’impôt, visant à appuyer la règle relative aux paiements insuffisamment imposés, en soumettant les paiements imposés à un taux effectif inférieur au taux minimum à une retenue à la source et/ou en refusant les avantages prévus par les conventions.

Il existe un chevauchement important entre les quatre composantes de la proposition GloBE et il est difficile de déterminer comment elles interagiront entre elles ou si les pays auront le choix quant aux moyens à utiliser pour atteindre l’objectif du Pilier 2 d’établir un impôt minimum.

Base d’imposition et états financiers consolidés

La proposition GloBE préconise l’utilisation des états financiers consolidés pour déterminer la base d’imposition. L’emploi des états financiers consolidés soulève un certain nombre de questions, notamment :

  • le choix des principes comptables généralement reconnus (PCGR) devant être utilisés (états-uniens, japonais, IFRS ou PCGR locaux);
  • l’incidence des postes libellés en devises étrangères sur le compte de conversion des devises;
  • l’imposition des opérations de change et le choix de la devise pour le paiement des impôts;
  • l’incidence des écarts permanents et des écarts temporaires;
  • la pertinence des changements apportés à la base d’imposition par suite d’une modification des principes comptables généralement reconnus;
  • la capacité des autorités fiscales locales à vérifier les états financiers consolidés;
  • la capacité d’uniformiser les règles fiscales – tenir compte, par exemple, de la diversité en ce qui concerne la déductibilité de la rémunération à base d’actions, la déductibilité des frais d’intérêts, etc.

Interaction entre le Pilier 1 et le Pilier 2

L’interaction entre les propositions du Pilier 1 et du Pilier 2 n’est pas claire. On peut supposer que le Pilier 1 sur la fiscalité numérique s’appliquerait à une entreprise multinationale avant l’application du Pilier 2. Par ailleurs, il semblerait logique que les impôts payés au titre du Pilier 1 soient pris en compte dans le calcul de l’impôt minimum payé sur ce revenu. L’interaction entre les deux piliers et leur interdépendance doivent donc être clarifiées.

Un autre élément essentiel n’ayant pas été abordé par l’OCDE est celui de savoir comment et où les impôts seraient perçus selon la structure organisationnelle de l’entreprise. Nous croyons que la proposition GloBE devrait être appliquée au niveau de la société mère ultime. Par exemple, A est propriétaire de B et B est propriétaire de C. A appliquerait les dispositions de la proposition GloBE au revenu de B et de C, mais B n’appliquerait pas les dispositions à C dans la mesure où A les applique. Toutefois, la proposition pourrait également être interprétée comme s’appliquant à chaque niveau de la structure organisationnelle lorsqu’une succursale ou une filiale est contrôlée par un membre du groupe.

La détermination de la ou des entités juridiques du groupe qui entreront dans le champ d’application de la proposition constitue une autre question cruciale qui doit être examinée. Une approche où chaque niveau de la structure organisationnelle serait imposé s’avérerait extrêmement complexe pour les contribuables.

Enfin, l’interaction avec les règles sur les sociétés étrangères contrôlées d’une juridiction particulière doit être prise en compte, faute de quoi, une double ou une triple imposition pourrait survenir.

Trop tôt pour la proposition GloBE?

Le Plan d’action BEPS a introduit des changements importants dans les règles fiscales à l’échelle internationale. Des mesures significatives visant à protéger la base d’imposition des pays ont récemment été introduites dans plusieurs pays, dont :

  • des règles limitant la déductibilité des intérêts (généralement fondées sur un pourcentage du BAIIA – bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement);
  • des lois régissant les sociétés étrangères contrôlées qui, si elles sont correctement mises en œuvre, devraient contribuer à l’atteinte d’un taux d’imposition minimum;
  • des lois contre l’utilisation des instruments hybrides qui éliminent les avantages fiscaux obtenus en exploitant les différences dans le traitement fiscal des entités d’un pays à l’autre;
  • un resserrement des règles visant à limiter les avantages fiscaux liés à la propriété intellectuelle;
  • l’introduction, par l’entremise de l’Instrument multilatéral, du critère de l’objet principal (« Principal Purpose Test ») dans les conventions fiscales, qui limitera grandement la possibilité d’obtenir des taux de retenue d’impôt à la source moins élevés dans la juridiction d’origine si les contribuables n’ont pas une présence économique importante dans le pays de résidence;
  • des modifications aux lignes directrices en matière de prix de transfert (actions 8 à 10 du Plan d’action BEPS);
  • des modifications aux conventions fiscales relatives à la définition d’établissement stable (action 7 du Plan d’action BEPS).

Nous estimons que l’OCDE devrait continuer à observer l’efficacité et l’efficience de ces changements récents et étudier des mesures visant à réformer la fiscalité internationale en recourant à des approches comme le Pilier 1.

Si les mesures adoptées ne permettent pas d’atteindre les objectifs des autorités fiscales, soit protéger les bases d’imposition nationales et faire en sorte que les entreprises multinationales paient un impôt minimum grâce à des règles sur les sociétés étrangères contrôlées, l’adoption de mesures comme celles de la proposition GloBE devrait alors être considérée comme un moyen d’y parvenir.

Un monde déchiré – existe-t-il un consensus suffisant pour mettre en œuvre des changements fiscaux à l’échelle internationale?

Les propositions du Pilier 1 et du Pilier 2 ne peuvent être réalisées que s’il y a consensus entre les juridictions. Dans le cas inverse, il y aura double imposition.

Au début décembre, le secrétaire américain au Trésor a indiqué que les États-Unis avaient de « sérieuses préoccupations » en ce qui concerne certains aspects des propositions du Pilier 1 (fiscalité numérique), notamment sur la dérogation au principe de pleine concurrence et les changements aux règles relatives au lien (nexus). Le secrétaire d’État a également annoncé que les États-Unis étaient pleinement favorables à un Pilier 2 de type GILTI (« global intangible low-taxed income » ou « impôt sur le revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels ») – ce qui indique peut-être une limite aux changements que les États-Unis sont susceptibles d’accepter pour parvenir à un consensus sur la réforme de la fiscalité internationale.

La fiscalité internationale et la fiscalité numérique continueront d’alimenter les discussions au sein de la communauté internationale, y compris le G20. Par exemple, l’Office of the US Trade Representatives a présenté, le 2 décembre, une proposition visant à imposer des droits supplémentaires de 2,4 milliards de dollars américains sur les produits français (y compris le champagne, le fromage et les batteries de cuisine en fonte) en réponse à la nouvelle taxe française sur les services numériques.

Pour une discussion plus approfondie sur les enjeux soulevés par la proposition GloBE, veuillez consulter nos commentaires détaillés adressés à l’OCDE.

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Nous commencerons cette troisième édition de l’année 2019 en examinant les modifications portant sur la réforme des taux d’intérêt de référence publiées par l’International Accounting Standards Board (IASB) (modifications d’IFRS 9 Instruments financiers, d’IAS 39 Instruments financiers : Comptabilisation et évaluation et d’IFRS 7 Instruments financiers : Informations à fournir).

Nous nous pencherons ensuite sur les exposés-sondages de l’IASB qui sont actuellement soumis pour appel à commentaires, puis nous passerons aux nouvelles liées aux IFRS chez Grant Thornton et aux autres nouvelles.

Nous conclurons par un sommaire des dates d’application de normes récemment publiées.

Une liste indiquant les documents actuellement soumis par l’IASB pour appel à commentaires et la date limite respective pour formuler ces derniers est accessible à l’adresse suivante : ifrs.org.

Nous finalisons l’élaboration d’une nouvelle stratégie relative aux publications pour 2020. Par conséquent, certaines de nos publications changeront au cours des mois à venir. Restez à l’affût!

Consultez le document ci-dessous.

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Vous avez réussi à attirer les meilleurs talents au sein de votre entreprise? Assurez-vous maintenant de fidéliser ces précieuses ressources.

Recruter est devenu un défi de taille pour les entreprises. Les dirigeants doivent s’adapter à un marché en évolution et à un changement générationnel.

Dans un contexte hautement compétitif, votre entreprise se doit de maîtriser l’art du recrutement, mais aussi celui de la rétention et de la mobilisation du personnel.

Repenser la culture de votre organisation

La rencontre des générations dans les organisations amène des disparités et exige de composer avec les valeurs et les attentes de chacun. Il s’agit d’un élément que les dirigeants doivent considérer avec attention, en repensant leur culture d’entreprise pour assurer la rétention de leurs talents.

Les générations X et Y ne valorisent pas autant l’engagement à long terme envers un employeur que les générations passées. Le bien-être de l’individu, le leadership transversal, l’innovation, l’engagement social et les conditions de travail, telles que les horaires flexibles, le salaire, le code vestimentaire revu et les avantages sociaux, constituent les éléments clés recherchés par les nouvelles générations.

Pourquoi ne pas envisager d’effectuer un diagnostic de votre climat de travail? Ainsi, vous pourrez repenser vos politiques, vos plans d’accueil et d’intégration ou vos valeurs à l’aide d’une démarche structurée.

Alignée sur vos objectifs d’affaires, votre culture organisationnelle guidera la prise de décisions et les comportements. Elle vous aidera à vous démarquer de la concurrence et fera de votre organisation un employeur de choix.

Revoir certaines méthodes de gestion

Des méthodes de gestion justes et efficaces vous permettront de mettre en œuvre les orientations stratégiques de votre organisation, afin qu’elle puisse atteindre ses objectifs stratégiques et financiers. Ces méthodes pourraient viser, sans s’y limiter :

  • L’alignement de votre modèle de gestion sur votre plan d’affaires, engageant un leadership cohérent dans la prise de décisions;
  • La gestion prévisionnelle de la main-d’œuvre selon vos objectifs d’affaires;
  • L’implantation de mécanismes de communication sous diverses formes qui contribueront au sentiment d’appartenance et au développement de la culture organisationnelle;
  • L’instauration de programmes de reconnaissance : soyez positif, sincère et constant;
  • Le transfert des connaissances et le développement des compétences;
  • La gestion de la performance et la gestion de carrière des talents les plus performants;
  • La mise en valeur de votre offre distinctive en matière de rémunération globale de vos employés (offre financière et non financière);
  • La planification de la relève, permettant d’assurer avec agilité la continuité.

La culture organisationnelle et les méthodes de gestion sont des facteurs primordiaux de fidélisation. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, le roulement des employés coûte cher. L’établissement d’un plan structuré visant la rétention de vos ressources s’avère plus que jamais nécessaire.

Notre équipe de conseillers en ressources humaines vous accompagnera dans toutes les étapes du processus de gestion du personnel, de l’embauche à l’encadrement (coaching) des gestionnaires. Profitez de nos connaissances approfondies pour propulser votre entreprise vers le succès.

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Francis Boucher
Associé | CPA, EEE | Conseils financiers

La production de l’information financière en temps opportun est un enjeu décisif pour les entreprises en croissance. Vos états financiers sont-ils à jour?

La croissance d’une entreprise amène l’entrepreneur à prendre des décisions liées à l’expansion vers un nouveau territoire : l’embauche de main-d’œuvre supplémentaire, l’investissement dans de nouvelles machineries et toute autre décision stratégique.

Ces dernières reposent en grande partie sur l’analyse de la situation financière de l’entreprise, et la production de l’information financière en temps opportun devient donc un enjeu décisif pour les entreprises en croissance.

Accélérer la production de l’information financière

En général, la production des états financiers devrait être complétée au plus tard le 10e jour du mois suivant. Comme les rapports financiers présentent la situation passée, réduire le temps de production permet à l’entreprise de bénéficier d’une gestion financière proactive.

Plusieurs éléments permettent d’accélérer la production de l’information financière, tout en faisant en sorte que celle-ci demeure complète, pertinente et exempte d’anomalies significatives.

Tout d’abord, l’entreprise doit définir ses processus d’affaires. On définit ces derniers comme étant le flux des activités permettant d’atteindre le résultat souhaité.

Cet exercice permet alors au gestionnaire et aux employés de comprendre les interactions entre chaque activité, ainsi que leur rôle et leurs responsabilités au sein de l’entreprise.

Cette première étape permet de déterminer l’information requise pour compléter les états financiers et d’identifier la ressource responsable de produire cette information.

Ensuite, l’entreprise doit déterminer l’information dont elle a besoin pour évaluer rapidement sa performance.

Les rapports financiers doivent prioriser l’information financière pertinente pour la prise de décision concernant les états financiers, les projections des ventes, le suivi des liquidités, etc.

La détermination préalable des besoins d’information permet donc d’éliminer la perte de temps liée à la production de rapports qui ne sont pas consultés par la direction.

Technologies et développement des compétences

De plus, l’entreprise doit s’assurer que les employés responsables du processus de production de l’information financière possèdent la formation et l’expérience requises pour accomplir efficacement les tâches qui leur sont confiées.

Les nombreux changements technologiques impliquent souvent un besoin de perfectionnement professionnel, et ces formations peuvent optimiser l’utilisation du logiciel comptable ou favoriser l’utilisation de différents outils automatisés (comme Excel), diminuant ainsi le temps de traitement de l’information.

Finalement, comme l’information financière doit être produite rapidement, il est important de mettre en place des contrôles internes efficaces pour minimiser le risque d’erreurs ou de fraude.

Une fois cette démarche complétée, l’entreprise sera en mesure d’accélérer la production de ses états financiers et bénéficiera d’une équipe administrative efficiente. Ces facteurs lui permettront de bonifier l’analyse de sa situation financière pour ainsi prendre des décisions d’affaires réfléchies.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Kamille Lambert.

17 Oct 2019  |  Écrit par :

Francis Boucher est expert en conseils financiers au sein de Raymond Chabot Grant Thornton.

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